lundi 25 février 2013

Claire HÉBER-SUFFRIN et les Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs
à l’honneur à Matignon !

  à l’honneur à Matignon !
 
clip_image002 Photo Rob Desgroppes










Le 6 février 2013, Claire HÉBER-SUFFRIN a reçu l’insigne d’Officier de la Légion d’Honneur,
remise par Monsieur Jean-Marc AYRAULT, Premier Ministre.


C’est pour son engagement de toute une vie consacrée à la réussite, aussi bien des enfants que des adultes, et, également au titre de Présidente d’honneur de FORESCO, Mouvement de Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs, que la fondatrice du premier R.É.R.S., il y a quarante ans, dans une école d’Orly, a été décorée. A travers cette haute distinction, ce sont tous les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs qui ont été mis sur le devant de la scène. Cette reconnaissance vient ponctuer
toutes les recherches, les travaux, les productions et le développement des R.É.R.S.
La réciprocité, élément essentiel dans les échanges de savoirs, a trouvé ici toute sa place :
Claire HÉBER-SUFFRIN a ainsi, dans son discours, associé à cette décoration, les R.É.R.S. et
l’a partagée avec les personnes qui l’accompagnent dans ce projet.



 Discours de Monsieur le Premier Ministre

Matignon, 6 février 2013

Chère Claire Héber-Suffrin,
Mesdames et Messieurs,

C’est avec beaucoup de plaisir que je vous accueille aujourd’hui à Matignon. Nous sommes ici pour distinguer un parcours remarquable, fondé sur des valeurs qui me sont chères : l’émancipation par l’école mais aussi par l’éducation populaire, la fraternité et la solidarité, l’engagement humaniste, au service du changement social.

Ces valeurs n’ont cessé de guider votre action, que ce soit dans votre vie professionnelle ou dans votre vie citoyenne, car vous croyez à la force de l’action collective, celle qui repose sur les associations, les groupements de citoyens, les syndicats ou les partis politiques. Je veux associer à votre propre engagement celui de votre époux, Marc Héber-Suffrin, avec qui vous avez construit ce beau parcours de vie qui nous réunit aujourd’hui. Et je salue aussi vos enfants, à qui vous avez certainement transmis les valeurs qui vous animent et qui peuvent être fiers de vous.

Vous savez l’importance que mon gouvernement attache à la refondation de l’école et à la réussite de tous les élèves, sans distinction. Cet objectif était le vôtre quand vous exerciez le métier d’institutrice en banlieue parisienne, en mettant en œuvre les pratiques pédagogiques innovantes du mouvement Freinet. Vous aviez la volonté de casser l’esprit de compétition qui fait échouer les plus fragiles, de redonner confiance à ceux qui étaient en difficulté, de faire en sorte que tous les enfants, à égalité, se sentent valorisés et acquièrent le goût de l’apprentissage. « Nul ne peut être exclu, avez-vous écrit, car chacun est essentiel ».

Très vite, vous avez acquis la conviction que la force du collectif repose sur la diversité des savoirs et des parcours individuels : chacun est à la fois celui qui sait et qui ne sait pas, qui peut offrir un savoir et en recevoir un autre en retour. Et c’est à Orly, en 1971, que vous avez créé, avec Marc Heber-Suffrin, le premier Réseau d’échanges réciproques de savoirs : il regroupait notamment vos propres élèves et leurs parents, mais aussi une grande diversité d’acteurs, avec le soutien du Maire de la Ville, Gaston Viens. L’aventure des RERS était lancée !

En 2011, vous avez d’ailleurs pris l’initiative de retrouver vos anciens élèves de 1971, ainsi que leurs parents, pour fêter, en quelque sorte, ce 40e anniversaire. Beaucoup ont répondu présents et ont apporté des témoignages exceptionnels sur ce qu’avait représenté pour eux cette expérience nouvelle. Tous ont été durablement influencés par cette philosophie du partage et de la réciprocité, qui les a inspirés bien au-delà de l’école.

Dans la tradition de l’éducation populaire, le principe selon lequel les savoirs sont de droit pour tous s’est imposé à eux. C’est un principe qui est au cœur du projet républicain, celui de former des citoyens, capables de construire leur vie et de participer aux débats démocratiques.

Avec la création des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs, vous avez apporté votre pierre à l’édifice républicain !

A partir de 1976, vous vous êtes consacrée entièrement au développement de cette démarche et à l’approfondissement de ses principes. Vous avez repris des études en sciences de l’éducation et obtenu un doctorat en psychosociologie des groupes. En 1979, c’est la création d’un nouveau réseau, à Evry, où votre époux était l’adjoint de Jacques Guyard, un Maire qui a impulsé beaucoup de politiques publiques innovantes. Je sais que cette étape a beaucoup compté pour vous et il est vrai que la ville nouvelle d’Evry, avec sa population très jeune et très diverse, constituait un terrain d’action particulièrement  fertile.

La multiplication des initiatives locales a conduit à la création du Mouvement des réseaux d’échanges réciproques de savoirs, en 1987. Il est devenu FORESCO en 2009, il fédère près de 600 réseaux locaux et vous en êtes aujourd’hui la présidente d’honneur.

Ce premier parcours a été distingué par la République dès 1998, puisque vous avez reçu cette année-là le grade de chevalier de la Légion d’honneur et c’est un homme de haute culture, Michel Serres, qui avait alors présidé à la cérémonie. Comment imaginer plus bel hommage à votre action ?

Depuis cette date, vous avez continué d’œuvrer sans relâche, y compris après votre retraite, en 2001, pour promouvoir ces principes de la réciprocité et de l’échange des savoirs, contribuant ainsi à l’extension du projet initial : extension à différents publics, à différents champs d’activités, mais aussi extension européenne et internationale !

Il y a d’abord, de votre part, une activité éditoriale très impressionnante. Vous avez écrit, co-écrit, coordonné ou préfacé de nombreux ouvrages consacrés aux réseaux d’échanges réciproques de savoirs, afin d’en présenter les enjeux. Vous avez rédigé des articles, dans des revues scientifiques comme dans des revues destinées au grand public. Et parmi les co-auteurs de certains de vos ouvrages, on trouve quelques néophytes, qui n’avaient jamais écrit ou a fortiori publié auparavant : c’est l’illustration même de votre démarche, l’idée étant de faire émerger des expériences vécues à travers une formulation écrite.

Vous avez engagé de nombreux projets dans les domaines de l’enseignement supérieur et de la recherche. Je voudrais citer notamment la mise en place, en 1998, à l’Université de Tours, d’un groupe de recherche sur la réciprocité et l’organisation en réseaux dans l’éducation et la formation, avec le professeur Gaston Pineau.

Vous avez accompagné des étudiants, participé à des jurys de master ou de thèse, donné des conférences, en France ou à l’étranger, sur vos thèmes de prédilection : les apprentissages, la formation tout au long de la vie, la citoyenneté.

Vous avez su donner une dimension internationale à vos travaux, en faisant se rencontrer des chercheurs, des organisations ou des collectifs issus de différents pays. C’est ainsi que des colloques internationaux sur la réciprocité et la solidarité ont été organisés à Evry, à votre initiative. Et en 2008, c’est la naissance du Mouvement international pour la réciprocité.

Vous avez montré également que les méthodes qui avaient fait leurs preuves dans un cadre pédagogique pouvaient contribuer à faire progresser les choses dans d’autres domaines. Le décloisonnement, la transmission des savoir-faire, les échanges réciproques sont autant de bonnes pratiques à mettre en œuvre pour moderniser l’action publique ou dans le monde de l’entreprise.

Les perspectives que vous avez ouvertes, avec beaucoup d’autres, sont donc très larges et le prix de la réciprocité, créé en 2010 dans le cadre de votre mouvement, permet de récompenser chaque année celles et ceux qui ont choisi d’en explorer les richesses.

Changer l’école, combattre les déterminismes sociaux, promouvoir une citoyenneté active, telles sont les ambitions qui étaient les vôtres il y a 40 ans, quand vous développiez les premiers réseaux d’échanges réciproques de savoirs.

Que de chemin parcouru, grâce à l’énergie que vous n’avez cessé de déployer ! La démarche que vous avez initiée a conquis depuis beaucoup de terrain et c’est en grande partie à votre engagement que nous le devons.

Plus que jamais, dans la société de la connaissance qui est la nôtre, nous avons besoin de solidarité, de formation tout au long de la vie et de transmission des savoirs.

En vertu des pouvoirs qui nous sont conférés par le Président de la République, nous vous faisons officier dans l’Ordre de la Légion d’honneur.


Discours de Madame Claire HÉBER-SUFFRIN


Monsieur le Premier Ministre,
Je reçois cette reconnaissance de votre part avec une grande fierté. Je la reçois bien personnellement en considérant qu’elle met en valeur de la persévérance ; une implication forte dans une aventure de coopération qui m’a beaucoup appris et m’a permis de vivre de belles relations ; et un parcours qui m’a permis d’exercer différents métiers, de celui d’institutrice militante de la pédagogie à celui de responsable et militante d’une association d’éducation populaire où j’ai pu initier de multiples projets, de celui de formatrice d’adultes à celui d’organisatrice de colloques, de chercheuse, de coordinatrice d’ouvrages collectifs, et même de gestionnaire.
Une de nos petites-filles, Alice, alors qu’elle a deux ou trois ans, se plaint à sa mère de ce que son père, en venant s’allonger à côté d’elle sur le canapé, prend selon elle trop de place. A la réponse de sa mère « mais il faut partager », elle réplique « moi, je veux partager toute seule ! ». Hé non, Alice, mais, tu le sais bien maintenant, non seulement on ne peut partager toute seule, mais ce peut être un tel bonheur de partager qu’on arrive à ne plus vouloir s’en passer.
Mais, partager est plus ou moins difficile en raison même de ce que l’on partage : comment partager une distinction qui m’est attribuée « personnellement » ? Partager une reconnaissance, cela ne peut se faire sans que celles et ceux, avec qui l’on veut les partager, acceptent de recevoir ce partage avec générosité, avec bienveillance : comme un don réciproque. Oui, il faut que vous tous, qui avez ainsi contribué, par de multiples chemins, à cette construction sociale-là, vous acceptiez de prendre votre part de cet honneur ; de reconnaître que, puisque vous avez apporté votre contribution positive à la construction de cette histoire, vous pouvez bien aussi être partie prenante de la reconnaissance sociale reçue aujourd’hui.
Rien de ce qui me conduit ici, aujourd’hui, à recevoir de vous, Monsieur le Premier Ministre, cette distinction n’existerait sans un grand nombre de belles rencontres, de belles relations, de fortes coopérations. Le compagnonnage affectif, intellectuel et pratique de Marc, mon mari. L’affection de mes parents, de mes enfants et petits-enfants et de toute ma famille. L’amitié de celles et ceux qui ont toujours été présents aux moments de joie comme aux jours de tensions difficiles à vivre. Cela n’existerait pas, non plus, évidemment, sans les milliers de personnes qui ont, courageusement et intelligemment, construit cette histoire : mes anciens élèves et leurs parents ; les participants et animateurs des réseaux d’échanges réciproques de savoirs et du Mouvement organisé que ces réseaux créent en se reliant ; nos alliés, des partenaires associatifs et nos soutiens institutionnels, un certain nombre de responsables politiques.
Cette cérémonie, si émouvante pour moi, n’est-elle pas aussi une reconnaissance de la réciprocité comme culture ? Comme démarche pédagogique ? Comme relation interpersonnelle ? Et cette réciprocité n’instaure-t-elle pas une bonne économie des signes de reconnaissance ? Comme pour les savoirs pour lesquels nous pouvons tous nous constituer offreurs et demandeurs, chacun ne pourrait-il davantage se constituer émetteur et récepteur de reconnaissances toutes paritaires et différentes.
Que ce soit vous, Monsieur le Premier Ministre qui m’ayez promue à ce grade d’officier, je le vis aussi comme une reconnaissance de notre projet et de la richesse d’une démarche qui ne peut être enfermée dans des catégorisations qui pourraient la réduire. Oui, cela reconnait la complexité de cette démarche relationnelle, pédagogique, culturelle et politique mise en place par ces réseaux
Certains les mettent en place pour créer du lien social, de la convivialité, ou encore de la rencontre fructueuse entre les
générations et les milieux sociaux.
Des expériences dans et autour d’établissements scolaires nous aident à considérer la démarche comme efficace
pédagogiquement. Notre lien, renforcé par le Collectif des associations partenaires de l’école publique, avec les mouvements
pédagogiques coopératifs nous inscrit encore plus nettement dans l’histoire des pédagogies émancipatrices.
D’autres encore les construisent comme une démarche d’éducation populaire qui articule en permanence les apprentissages
avec la construction de sens et l’engagement.
Certains les développent comme démarche culturelle ; pour rendre accessibles des savoirs qui ne le sont pas assez pour tous :
littérature, arts, sciences, techniques… ou, encore, pour que les cultures d’origine se croisent mieux.
D’autres les animent comme expérience d’économie solidaire : les savoirs, l’histoire commune, la coopération comme des
biens communs. Des entreprises et des entrepreneurs sont intéressés pour faire circuler les savoirs nécessaires à la fois à la
bonne marche de l’entreprise et au « bien-être » des salariés.
Un grand nombre considèrent ces réseaux comme un projet concret, local, rationnel et relié pour faire vivre la démocratie et
appeler à la citoyenneté active. On entend parler de démocratie des savoirs, d’accès pour tous à tous les savoirs, d’invitations
pour tous à faire circuler leurs savoirs. On voudrait considérer tous les habitants de notre pays comme porteurs de savoirs
indispensables pour participer, aux débats démocratiques nécessaires, pour les alimenter et pour conduire à de bonnes
décisions : écologie, économie, pédagogie, génétique… On parle de réseaux dans le champ des politiques de la ville, dans le
champ de l’amélioration de la vie dans le monde rural.
Nous sommes aussi des réseaux qui savent faire la fête, dire que la joie de vivre, le rire ensemble sont des constituants
importants du Vivre ensemble.
Ce qui ne fait pas oublier l’une des valeurs principales qui nous mettent ensemble : la solidarité et l’attention aux plus
fragiles de notre société. 

Certaines de ces dimensions englobent les autres. Toutes sont reliées. 
Cette reconnaissance vécue aujourd’hui est une chance dont nous nous efforcerons de faire le
meilleur usage : comme Mouvement, comme réseaux et comme personnes, nous avons à revendiquer
cette complexité, à l’assumer, à la pratiquer et à l’apprendre sans fin. Être un Mouvement, c’est porter
ensemble cette complexité dans ses multiples dimensions. Acceptez, chers amis de ce Mouvement, de
considérer que cette reconnaissance est aussi une reconnaissance de notre Mouvement. Merci,

Monsieur le Premier Ministre, de cette chance que vous me donnez de partager la fierté et d’alimenter
ce qui me parait une idée-force pour notre avenir : tout ensemble, « nous relier-apprendre-essayer »,
pour avoir des chances de créer…


Betty pour le Rézo!