à l’honneur à Matignon !
à l’honneur
à Matignon !
Photo Rob Desgroppes
Le 6 février 2013, Claire HÉBER-SUFFRIN a reçu l’insigne d’Officier de la Légion d’Honneur,
remise par Monsieur Jean-Marc AYRAULT, Premier Ministre.
C’est pour son engagement de toute une vie consacrée à la réussite, aussi bien des enfants que des adultes, et, également au titre de Présidente d’honneur de FORESCO, Mouvement de Réseaux d’Échanges Réciproques de Savoirs, que la fondatrice du premier R.É.R.S., il y a quarante ans, dans une école d’Orly, a été décorée. A travers cette haute distinction, ce sont tous les Réseaux d’échanges réciproques de savoirs qui ont été mis sur le devant de la scène. Cette reconnaissance vient ponctuer
toutes les recherches, les travaux, les productions et le développement des R.É.R.S.
La réciprocité, élément essentiel dans les échanges de savoirs, a trouvé ici toute sa place :
Claire HÉBER-SUFFRIN a ainsi, dans son discours, associé à cette décoration, les R.É.R.S. et
l’a partagée avec les personnes qui l’accompagnent dans ce projet.
Discours de Monsieur le Premier Ministre
Matignon,
6 février 2013
Chère
Claire Héber-Suffrin,
Mesdames
et Messieurs,
C’est
avec beaucoup de plaisir que je vous accueille aujourd’hui à Matignon. Nous
sommes ici pour distinguer un parcours remarquable, fondé sur des valeurs qui
me sont chères : l’émancipation par l’école mais aussi par l’éducation
populaire, la fraternité et la solidarité, l’engagement humaniste, au service
du changement social.
Ces
valeurs n’ont cessé de guider votre action, que ce soit dans votre vie
professionnelle ou dans votre vie citoyenne, car vous croyez à la force de
l’action collective, celle qui repose sur les associations, les groupements de
citoyens, les syndicats ou les partis politiques. Je veux associer à votre propre
engagement celui de votre époux, Marc Héber-Suffrin, avec qui vous avez
construit ce beau parcours de vie qui nous réunit aujourd’hui. Et je salue
aussi vos enfants, à qui vous avez certainement transmis les valeurs qui vous
animent et qui peuvent être fiers de vous.
Vous
savez l’importance que mon gouvernement attache à la refondation de l’école et
à la réussite de tous les élèves, sans distinction. Cet objectif était le vôtre
quand vous exerciez le métier d’institutrice en banlieue parisienne, en mettant
en œuvre les pratiques pédagogiques innovantes du mouvement Freinet. Vous aviez
la volonté de casser l’esprit de compétition qui fait échouer les plus
fragiles, de redonner confiance à ceux qui étaient en difficulté, de faire en
sorte que tous les enfants, à égalité, se sentent valorisés et acquièrent le
goût de l’apprentissage. « Nul ne peut être exclu, avez-vous écrit, car
chacun est essentiel ».
Très
vite, vous avez acquis la conviction que la force du collectif repose sur la
diversité des savoirs et des parcours individuels : chacun est à la fois
celui qui sait et qui ne sait pas, qui peut offrir un savoir et en recevoir un
autre en retour. Et c’est à Orly, en 1971, que vous avez créé, avec Marc
Heber-Suffrin, le premier Réseau d’échanges réciproques de savoirs : il
regroupait notamment vos propres élèves et leurs parents, mais aussi une grande
diversité d’acteurs, avec le soutien du Maire de la Ville, Gaston Viens. L’aventure
des RERS était lancée !
En
2011, vous avez d’ailleurs pris l’initiative de retrouver vos anciens élèves de
1971, ainsi que leurs parents, pour fêter, en quelque sorte, ce 40e
anniversaire. Beaucoup ont répondu présents et ont apporté des témoignages
exceptionnels sur ce qu’avait représenté pour eux cette expérience nouvelle.
Tous ont été durablement influencés par cette philosophie du partage et de la
réciprocité, qui les a inspirés bien au-delà de l’école.
Dans
la tradition de l’éducation populaire, le principe selon lequel les savoirs
sont de droit pour tous s’est imposé à eux. C’est un principe qui est au cœur
du projet républicain, celui de former des citoyens, capables de construire
leur vie et de participer aux débats démocratiques.
Avec
la création des Réseaux d’échanges réciproques de savoirs, vous avez apporté
votre pierre à l’édifice républicain !
A
partir de 1976, vous vous êtes consacrée entièrement au développement de cette
démarche et à l’approfondissement de ses principes. Vous avez repris des études
en sciences de l’éducation et obtenu un doctorat en psychosociologie des
groupes. En 1979, c’est la création d’un nouveau réseau, à Evry, où votre époux
était l’adjoint de Jacques Guyard, un Maire qui a impulsé beaucoup de
politiques publiques innovantes. Je sais que cette étape a beaucoup compté pour
vous et il est vrai que la ville nouvelle d’Evry, avec sa population très jeune
et très diverse, constituait un terrain d’action particulièrement fertile.
La
multiplication des initiatives locales a conduit à la création du Mouvement des
réseaux d’échanges réciproques de savoirs, en 1987. Il est devenu FORESCO en
2009, il fédère près de 600 réseaux locaux et vous en êtes aujourd’hui la
présidente d’honneur.
Ce
premier parcours a été distingué par la République dès 1998, puisque vous avez
reçu cette année-là le grade de chevalier de la Légion d’honneur et c’est un
homme de haute culture, Michel Serres, qui avait alors présidé à la cérémonie.
Comment imaginer plus bel hommage à votre action ?
Depuis
cette date, vous avez continué d’œuvrer sans relâche, y compris après votre
retraite, en 2001, pour promouvoir ces principes de la réciprocité et de
l’échange des savoirs, contribuant ainsi à l’extension du projet initial :
extension à différents publics, à différents champs d’activités, mais aussi
extension européenne et internationale !
Il
y a d’abord, de votre part, une activité éditoriale très impressionnante. Vous
avez écrit, co-écrit, coordonné ou préfacé de nombreux ouvrages consacrés aux
réseaux d’échanges réciproques de savoirs, afin d’en présenter les enjeux. Vous
avez rédigé des articles, dans des revues scientifiques comme dans des revues
destinées au grand public. Et parmi les co-auteurs de certains de vos ouvrages,
on trouve quelques néophytes, qui n’avaient jamais écrit ou a fortiori publié
auparavant : c’est l’illustration même de votre démarche, l’idée étant de
faire émerger des expériences vécues à travers une formulation écrite.
Vous
avez engagé de nombreux projets dans les domaines de l’enseignement supérieur
et de la recherche. Je voudrais citer notamment la mise en place, en 1998, à
l’Université de Tours, d’un groupe de recherche sur la réciprocité et
l’organisation en réseaux dans l’éducation et la formation, avec le professeur
Gaston Pineau.
Vous
avez accompagné des étudiants, participé à des jurys de master ou de thèse,
donné des conférences, en France ou à l’étranger, sur vos thèmes de
prédilection : les apprentissages, la formation tout au long de la vie, la
citoyenneté.
Vous
avez su donner une dimension internationale à vos travaux, en faisant se
rencontrer des chercheurs, des organisations ou des collectifs issus de
différents pays. C’est ainsi que des colloques internationaux sur la
réciprocité et la solidarité ont été organisés à Evry, à votre initiative. Et
en 2008, c’est la naissance du Mouvement international pour la réciprocité.
Vous
avez montré également que les méthodes qui avaient fait leurs preuves dans un
cadre pédagogique pouvaient contribuer à faire progresser les choses dans
d’autres domaines. Le décloisonnement, la transmission des savoir-faire, les échanges
réciproques sont autant de bonnes pratiques à mettre en œuvre pour moderniser
l’action publique ou dans le monde de l’entreprise.
Les
perspectives que vous avez ouvertes, avec beaucoup d’autres, sont donc très
larges et le prix de la réciprocité, créé en 2010 dans le cadre de votre
mouvement, permet de récompenser chaque année celles et ceux qui ont choisi d’en
explorer les richesses.
Changer
l’école, combattre les déterminismes sociaux, promouvoir une citoyenneté active,
telles sont les ambitions qui étaient les vôtres il y a 40 ans, quand vous
développiez les premiers réseaux d’échanges réciproques de savoirs.
Que
de chemin parcouru, grâce à l’énergie que vous n’avez cessé de déployer ! La
démarche que vous avez initiée a conquis depuis beaucoup de terrain et c’est en
grande partie à votre engagement que nous le devons.
Plus
que jamais, dans la société de la connaissance qui est la nôtre, nous avons
besoin de solidarité, de formation tout au long de la vie et de transmission
des savoirs.
En
vertu des pouvoirs qui nous sont conférés par le Président de la République,
nous vous faisons officier dans l’Ordre de la Légion d’honneur.
Discours de Madame Claire HÉBER-SUFFRIN
Monsieur le Premier Ministre,
Je reçois cette
reconnaissance de votre part avec une grande fierté. Je la reçois bien
personnellement en considérant qu’elle met en valeur de la persévérance ; une
implication forte dans une aventure de coopération qui m’a beaucoup appris et
m’a permis de vivre de belles relations ; et un parcours qui m’a permis d’exercer
différents métiers, de celui d’institutrice militante de la pédagogie à celui
de responsable et militante d’une association d’éducation populaire où j’ai pu initier
de multiples projets, de celui de formatrice d’adultes à celui d’organisatrice
de colloques, de chercheuse, de coordinatrice d’ouvrages collectifs, et même de
gestionnaire.
Une de nos petites-filles, Alice, alors qu’elle a deux
ou trois ans, se plaint à sa mère de ce que son père, en venant s’allonger à
côté d’elle sur le canapé, prend selon elle trop de place. A la réponse de sa
mère « mais il faut partager », elle réplique « moi, je veux
partager toute seule ! ». Hé non, Alice, mais, tu le sais bien
maintenant, non seulement on ne peut partager toute seule, mais ce peut être un
tel bonheur de partager qu’on arrive à ne plus vouloir s’en passer.
Mais,
partager est plus ou moins difficile en raison même de ce que l’on partage :
comment partager une distinction qui m’est attribuée
« personnellement » ? Partager une reconnaissance, cela ne peut
se faire sans que celles et ceux, avec qui l’on veut les partager, acceptent de
recevoir ce partage avec générosité, avec bienveillance : comme un don
réciproque. Oui, il faut que vous tous, qui avez ainsi contribué, par de
multiples chemins, à cette construction sociale-là, vous acceptiez de prendre
votre part de cet honneur ; de reconnaître que, puisque vous avez apporté
votre contribution positive à la construction de cette histoire, vous pouvez
bien aussi être partie prenante de la reconnaissance sociale reçue aujourd’hui.
Rien de ce
qui me conduit ici, aujourd’hui, à recevoir de vous, Monsieur le Premier
Ministre, cette distinction n’existerait sans un grand nombre de belles
rencontres, de belles relations, de fortes coopérations. Le compagnonnage
affectif, intellectuel et pratique de Marc, mon mari. L’affection de mes
parents, de mes enfants et petits-enfants et de toute ma famille. L’amitié de
celles et ceux qui ont toujours été présents aux moments de joie comme aux
jours de tensions difficiles à vivre. Cela n’existerait pas, non plus, évidemment,
sans les milliers de personnes qui ont, courageusement et intelligemment, construit
cette histoire : mes anciens élèves et leurs parents ; les
participants et animateurs des réseaux d’échanges réciproques de savoirs et du
Mouvement organisé que ces réseaux créent en se reliant ; nos alliés, des partenaires
associatifs et nos soutiens institutionnels, un certain nombre de responsables
politiques.
Cette cérémonie, si émouvante pour moi, n’est-elle pas aussi une
reconnaissance de la réciprocité comme culture ? Comme démarche
pédagogique ? Comme relation interpersonnelle ? Et cette réciprocité
n’instaure-t-elle pas une bonne économie des signes de reconnaissance ? Comme pour
les savoirs pour lesquels nous pouvons tous nous constituer offreurs et
demandeurs, chacun ne pourrait-il davantage se constituer émetteur et récepteur
de reconnaissances toutes paritaires et différentes.
Que ce soit vous, Monsieur le Premier Ministre qui
m’ayez promue à ce grade d’officier, je le vis aussi comme une reconnaissance de
notre projet et de la richesse d’une démarche qui ne peut être enfermée dans des
catégorisations qui pourraient la réduire. Oui, cela reconnait la
complexité de cette démarche relationnelle, pédagogique, culturelle et
politique mise en place par ces réseaux
Certains
les mettent en place pour créer du lien social, de la convivialité, ou encore
de la rencontre fructueuse entre les
générations et les milieux sociaux.
Des
expériences dans et autour d’établissements scolaires nous aident à considérer
la démarche comme efficace
pédagogiquement. Notre lien, renforcé par le
Collectif des associations partenaires de l’école publique, avec les mouvements
pédagogiques coopératifs nous inscrit encore plus nettement dans l’histoire des
pédagogies émancipatrices.
D’autres
encore les construisent comme une démarche d’éducation populaire qui articule
en permanence les apprentissages
avec la construction de sens et l’engagement.
Certains
les développent comme démarche culturelle ; pour rendre accessibles des
savoirs qui ne le sont pas assez pour tous :
littérature, arts, sciences,
techniques… ou, encore, pour que les cultures d’origine se croisent mieux.
D’autres les
animent comme expérience d’économie solidaire : les savoirs, l’histoire
commune, la coopération comme des
biens communs. Des entreprises et des
entrepreneurs sont intéressés pour faire circuler les savoirs nécessaires à la
fois à la
bonne marche de l’entreprise et au « bien-être » des
salariés.
Un grand
nombre considèrent ces réseaux comme un projet concret, local, rationnel et
relié pour faire vivre la démocratie et
appeler à la citoyenneté active. On
entend parler de démocratie des savoirs, d’accès pour tous à tous les savoirs, d’invitations
pour tous à faire circuler leurs savoirs. On voudrait considérer tous les habitants
de notre pays comme porteurs de savoirs
indispensables pour participer, aux
débats démocratiques nécessaires, pour les alimenter et pour conduire à de
bonnes
décisions : écologie, économie, pédagogie, génétique… On parle de
réseaux dans le champ des politiques de la ville, dans le
champ de
l’amélioration de la vie dans le monde rural.
Nous sommes
aussi des réseaux qui savent faire la fête, dire que la joie de vivre, le rire
ensemble sont des constituants
importants du Vivre ensemble.
Ce qui ne
fait pas oublier l’une des valeurs principales qui nous mettent ensemble :
la solidarité et l’attention aux plus
fragiles de notre société.
Certaines
de ces dimensions englobent les autres. Toutes sont reliées.
Cette
reconnaissance vécue aujourd’hui est une chance dont nous nous efforcerons de
faire le
meilleur usage : comme Mouvement, comme réseaux et comme personnes,
nous avons à revendiquer
cette complexité, à l’assumer, à la pratiquer et à l’apprendre
sans fin. Être un Mouvement, c’est porter
ensemble cette complexité dans ses
multiples dimensions. Acceptez, chers amis de ce Mouvement, de
considérer que
cette reconnaissance est aussi une reconnaissance de notre Mouvement. Merci,
Monsieur le Premier Ministre, de cette chance que vous me donnez de partager la
fierté et d’alimenter
ce qui me parait une idée-force pour notre avenir : tout
ensemble, « nous relier-apprendre-essayer »,
pour avoir des chances
de créer…
Betty pour le Rézo!